V by mile Nelligan Lyrics
J’ai vu un soir Nelligan en pleine gloire. C’était au Château Ramesay, à l’une des dernières séances publiques de l’École Littéraire. Je ne froisserai, j’espère, aucun rival en disant que le jeune éphèbe eut les honneurs de cette soirée. Quand, l’œil flambant, le geste élargi par l’effort intime, il clama d’une voix passionnée sa Romance du vin, une émotion vraie étreignit la salle, et les applaudissements prirent la fureur d’une ovation. Hélas! six mois après, le triomphateur subissait la suprême défaite, et l’École Littéraire elle-même s’en allait, désorganisée et expirante.
Je ne songe jamais au héros tombé sans regretter la décadence de ce cénacle d’esprits choisis, tous rayonnant d’une belle jeunesse et d’un ardent amour de l’art, qui montra un instant tant de vitalité et fit concevoir de si hauts espoirs. Nous y voyions le signal attendu de notre réveil artistique, l’aube d’une renaissance littéraire dans notre pays, l’effort décisif pour soulever l’étendard sacré au dessus de nos prosaïsmes vulgaires, peut-être l’avenir du parler de France sur les lèvres de nos enfants. En fait, les succès, l’influence grandissante de l’œuvre, justifiaient nos prévisions. Elle avait connu la petitesse et l’obscurité des débuts. Quatre ou cinq camarades, frais émoulus de rhétorique, en avaient jeté les bases en comité intime. Louvigny de Montigny, ce gai dilettante qui a toujours eu le tempérament d’un Mécène avec la bourse d’un Diogène, les réunissait chez lui et était par son entrain l’âme de leurs ébats. On voyait là, s’il m’en souvient, Joseph Melançon, le rêveur paisible et le rimeur délicat qui a troqué depuis le carquois d’Apollon pour les canons de la Sainte Église; Gustave Comte, qui, dans le travail, inscrit au règlement, de l’épluchement des confrères, se formait aux finesses et aux malices de la critique d’art: Jean Charbonneau, qui avait déjà à son actif quatre ou cinq drames en vers; Germain Beaulieu, tourné maintenant à l’économie politique et à la philanthropie; Paul de Martigny, un être étincelant d’esprit, devenu l’un des fondateurs des premiers débats: Albert Laberge, âme pétrie de mysticisme, condamné, hélas! à chanter dans la Presse les idylles de la boxe et les épopées du football; E.-Z. Massicotte, resté, lui fidèle aux muses d’antan; Henry Desjardins, qui depuis… mais les notaires m’en garderaient rancune.
Plus tard, le cercle s’élargissant, le salon des de Montigny fut trop étroit. Alors, le vieux recorder, qui eut toujours pour l’art de paternelles faiblesses, prêtait à nos jeunes «escholiers» la clef du vénérable tribunal où il jugeait chaque matin les escarpes et les soûlots. Le soir venu, les drames de la vie réelle faisaient place aux pacifiques assises de l’Idée; les rimes voletaient dans la salle où avaient retenti les objurgations et les amendes; et, sur le siège du magistrat, la Poésie trônait, en gilet et en toque, dans la personne de Charles Gill.
Car des recrues nouvelles avaient grossi la sainte phalange, et à leur tête Gill, le peintre-poète, que son talent si délicat et si ferme avait porté au rang d’honneur. Il présidait d’ailleurs, comme lui-même l’a écrit, «une école sans maître, où nul n’avait le droit d’élever la voix plus haut que son voisin,» et d’où la jalousie et l’adulation étaient également exclues.
C’étaient encore Albert Ferland, un lamartiniste ému et tendre; —Arthur de Bussière, rimeur habile épris d’exotisme et de coloris; —Albert Lozeau, dont l’âme gardait, dans un corps anémié, un souffle si jeune et si vivace; —Pierre Bédard, moins poète que prosateur, mais sachant loger dans sa prose une poésie discrète; —Dumont, que des goûts sérieux poussaient vers la philosophie et l’histoire; —Demers, un dramaturge en herbe, qui osait, après Racine, dialoguer les fureurs de Néron; —Antonio Pelletier, d’autres peut-être, —tous avec leurs préférences littéraires, leur genre et leur style distincts, mais unis dans la poursuite désintéressée et sincère de la Beauté parlant français.
Plus tard encore, l’École crut augmenter son influence en s’adjoignant d’autres écrivains plus mûris et plus connus. Elle offrit sa présidence d’honneur à Louis Fréchette, et de fins stylistes comme Gonzalve Desaulniers vinrent s’asseoir à côté de leurs jeunes émules, qu’ils dépassaient de toute leur expérience et de tout l’acquis de leurs œuvres. Les portes du Monument National, puis celles du Château Ramesay, s’ouvrirent alors à des séances publiques, qui marquèrent un glorieux apogée. Cette évolution était honorable, certes: elle offrait pourtant ses périls. On le vit bien quand un avocat, qui ne touchait, lui, que de très loin à la littérature, obtint la direction de l’École. Il fut, bien inconsciemment sans doute, son mauvais génie. Je n’ai pas à faire l’histoire d’une déchéance qui dure encore: il me suffit de la déplorer, en souhaitant que l’œuvre galvanise à nouveau ce qui lui reste de vie latente, et revienne à l’entrain et aux belles audaces de ses origines. L’âme de Nelligan s’en réjouira dans les limbes obscurs où doivent vivre les âmes qui n’ont laissé ici-bas que leurs corps.
Je ne songe jamais au héros tombé sans regretter la décadence de ce cénacle d’esprits choisis, tous rayonnant d’une belle jeunesse et d’un ardent amour de l’art, qui montra un instant tant de vitalité et fit concevoir de si hauts espoirs. Nous y voyions le signal attendu de notre réveil artistique, l’aube d’une renaissance littéraire dans notre pays, l’effort décisif pour soulever l’étendard sacré au dessus de nos prosaïsmes vulgaires, peut-être l’avenir du parler de France sur les lèvres de nos enfants. En fait, les succès, l’influence grandissante de l’œuvre, justifiaient nos prévisions. Elle avait connu la petitesse et l’obscurité des débuts. Quatre ou cinq camarades, frais émoulus de rhétorique, en avaient jeté les bases en comité intime. Louvigny de Montigny, ce gai dilettante qui a toujours eu le tempérament d’un Mécène avec la bourse d’un Diogène, les réunissait chez lui et était par son entrain l’âme de leurs ébats. On voyait là, s’il m’en souvient, Joseph Melançon, le rêveur paisible et le rimeur délicat qui a troqué depuis le carquois d’Apollon pour les canons de la Sainte Église; Gustave Comte, qui, dans le travail, inscrit au règlement, de l’épluchement des confrères, se formait aux finesses et aux malices de la critique d’art: Jean Charbonneau, qui avait déjà à son actif quatre ou cinq drames en vers; Germain Beaulieu, tourné maintenant à l’économie politique et à la philanthropie; Paul de Martigny, un être étincelant d’esprit, devenu l’un des fondateurs des premiers débats: Albert Laberge, âme pétrie de mysticisme, condamné, hélas! à chanter dans la Presse les idylles de la boxe et les épopées du football; E.-Z. Massicotte, resté, lui fidèle aux muses d’antan; Henry Desjardins, qui depuis… mais les notaires m’en garderaient rancune.
Plus tard, le cercle s’élargissant, le salon des de Montigny fut trop étroit. Alors, le vieux recorder, qui eut toujours pour l’art de paternelles faiblesses, prêtait à nos jeunes «escholiers» la clef du vénérable tribunal où il jugeait chaque matin les escarpes et les soûlots. Le soir venu, les drames de la vie réelle faisaient place aux pacifiques assises de l’Idée; les rimes voletaient dans la salle où avaient retenti les objurgations et les amendes; et, sur le siège du magistrat, la Poésie trônait, en gilet et en toque, dans la personne de Charles Gill.
Car des recrues nouvelles avaient grossi la sainte phalange, et à leur tête Gill, le peintre-poète, que son talent si délicat et si ferme avait porté au rang d’honneur. Il présidait d’ailleurs, comme lui-même l’a écrit, «une école sans maître, où nul n’avait le droit d’élever la voix plus haut que son voisin,» et d’où la jalousie et l’adulation étaient également exclues.
C’étaient encore Albert Ferland, un lamartiniste ému et tendre; —Arthur de Bussière, rimeur habile épris d’exotisme et de coloris; —Albert Lozeau, dont l’âme gardait, dans un corps anémié, un souffle si jeune et si vivace; —Pierre Bédard, moins poète que prosateur, mais sachant loger dans sa prose une poésie discrète; —Dumont, que des goûts sérieux poussaient vers la philosophie et l’histoire; —Demers, un dramaturge en herbe, qui osait, après Racine, dialoguer les fureurs de Néron; —Antonio Pelletier, d’autres peut-être, —tous avec leurs préférences littéraires, leur genre et leur style distincts, mais unis dans la poursuite désintéressée et sincère de la Beauté parlant français.
Plus tard encore, l’École crut augmenter son influence en s’adjoignant d’autres écrivains plus mûris et plus connus. Elle offrit sa présidence d’honneur à Louis Fréchette, et de fins stylistes comme Gonzalve Desaulniers vinrent s’asseoir à côté de leurs jeunes émules, qu’ils dépassaient de toute leur expérience et de tout l’acquis de leurs œuvres. Les portes du Monument National, puis celles du Château Ramesay, s’ouvrirent alors à des séances publiques, qui marquèrent un glorieux apogée. Cette évolution était honorable, certes: elle offrait pourtant ses périls. On le vit bien quand un avocat, qui ne touchait, lui, que de très loin à la littérature, obtint la direction de l’École. Il fut, bien inconsciemment sans doute, son mauvais génie. Je n’ai pas à faire l’histoire d’une déchéance qui dure encore: il me suffit de la déplorer, en souhaitant que l’œuvre galvanise à nouveau ce qui lui reste de vie latente, et revienne à l’entrain et aux belles audaces de ses origines. L’âme de Nelligan s’en réjouira dans les limbes obscurs où doivent vivre les âmes qui n’ont laissé ici-bas que leurs corps.