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Lyrify.me

Post-Scriptum by mile Nelligan Lyrics

Genre: misc | Year: 1903

Les circonstances et le vœu des amis de Nelligan veulent que j’essaie d’être cet homme.

On l’a reconnu volontiers, les lignes qui précèdent répètent exactement le caractère et l’œuvre de notre jeune poète. Je n’y ajouterai que quelques mots.

D’abord, je tiens à dire que l’édition présente n’est qu’un extrait des volumineux cahiers laissés par Émile Nelligan. Elle n’est pas «toute la lyre», et laisse ample matière à glaner aux chercheurs de miettes posthumes. Mais je crois y avoir réuni tout ce qui vraiment mérite de vivre, tout ce qui peut servir la gloire de nos lettres et celle de notre malheureux ami.

Je le déclare ici, pour justifier cette sélection, l’inspiration d’Émile Nelligan était fort inégale, et son sens critique assez peu mûri. On trouve pêle-mêle, dans ses cahiers, des pièces de valeur fort diverse, de simples ébauches à côté de morceaux finis, des strophes alertes et françaises à côté d’autres où l’incorrection le dispute à l’obscurité. Fallait-il, dans ce volume, vider au hasard toute la corbeille? C’eût été, à coup sûr, rendre à l’auteur comme aux lecteurs un piètre service.

Je sais bien que tout choix est périlleux, qu’on risque d’y glisser des idées, des goûts personnels, qui masquent et empêchent d’éclater la pleine personnalité d’une œuvre. Mais, sachant ce péril, j’ai tâché de mettre en ce choix le plus du poète et le moins de l’éditeur que j’ai pu. Je n’ai élagué aucune pièce portant l’empreinte du talent, même sous ses formes les plus scabreuses: je n’ai rogné que sur le banal, l’imprécis, le faux, le médiocre: et d’aucuns jugeront même que je n’ai pas toujours eu la sévérité qui eût été justice.

Sans doute, dans ce qui reste on trouverait encore des perles. Tel sonnet que j’ai négligé s’ouvre sur un délicieux quatrain, et de tel autre on redirait:
«La chûte en est jolie, etc.»

Mais l’ensemble m’a paru inférieur, et, pas plus qu’un potage, un sonnet manqué ne se rachète par les circonstances atténuantes.

Si quelqu’un, malgré tout, regrettait les «œuvres complètes», je lui demanderais ce que les vers suivants, par exemple, peuvent bien ajouter à une réputation d’artiste:
«Refoulons la sente
Presque renaissante
À notre ombre passante.

Confabulons là
Avec tout cela
Qui fut de la villa.
Parmi les voix tues
Des vieilles statues
Çà et là abattues.

Dans le parc défunt
Où rode un parfum
De soir blanc en soir brun, etc.»

Il est évident qu’en donnant l’oubli à de telles strophes, on leur octroie ce qu’elles méritent. Ces remarques justifient, ce me semble, la composition de ce volume, et elles expliquent aussi certaines critiques de ma préface, qui, à en juger par les seuls vers publiés ici, pourraient paraître peu méritées.

Je dois, pour finir, des excuses à une institution que j’ai crue morte, et qui vit. L’École Littéraire s’est émue du permis d’enterrer que je lui décernais prématurément. Elle a protesté, comme c’était son droit. «Je proteste, donc je suis.» J’ai la joie de reconnaître que cette œuvre, chère à Nelligan, lui a survécu, et qu’elle poursuit, avec la même sincérité que jadis, son travail de culture et d’affinement intellectuel parmi notre jeunesse. Les regrets que j’exprimais à son sujet n’ont donc qu’à se changer en félicitations, et si j’ai laissé subsister plus haut mes appréciations premières, c’est pour me donner le franc plaisir de les rétracter ici.